samedi 22 février 2020

Ma vie d’expat’ en … France

Ma vie d’expat’ en … France

Le témoignage d’Ernst, Néerlandais expatrié dans la Drôme avec sa femme : « Nous n’avons aucun regret. Si je dis « chez nous », je pense à mon village français et pas à mon pays d’origine. »


Drôme provençale by Isabelle Barrhuet–CC BY-NC-ND 2.0

Une petite présentation ?
Je m’appelle Ernest, né Ernst en 1948, donc retraité. Même métier que Laurent, ou presque : consultant informatique. Marié assez jeune, j’ai deux enfants, 7 petits-enfants. Ma femme est photographe naturaliste et « petite paysanne », toujours pleine de projets, de préférence dehors.

Pourquoi être parti ?
Aux Pays-Bas, depuis la fin de mes études, ma femme et moi avons vécu dans des villages de plus en plus petits. On pourrait penser : ambiance tranquille, mais en réalité, pour nous la pression de la densité de gens autour de nous était une des raisons principales pour émigrer. De plus, le paysage ici est tellement beau, chaque sortie pour faire des courses ou autre devoir est une petite fête : la montagne, la vue, les falaises, les pierres, (on ne dit pas sans raison « où la terre montre l’os ») et bien sûr aussi un soleil dans un ciel bleu.

Nous avons découvert un hameau, une commune de gens ouverts et accueillants et notre vie sociale est plus développée qu’aux Pays-Bas. Évidemment, il faut faire l’effort de parler la langue locale, même s’il y a d’autres nationalités présentes – on ne veut pas s’enfermer dans un ghetto.

La fiscalité n’a joué aucun rôle. La France et les Pays-Bas ont conclu un traité pour éviter les impôts doubles. Par conséquence, nos pensions venant de l’État néerlandais sont taxées aux Pays-Bas et mes revenus du fonds de retraite, ainsi que tout revenu français (par exemple – le loyer d’un gîte) sont taxés en France. Les deux pays calculent notre « revenu mondial » pour déterminer le tarif applicable. Impossible de savoir si je paye plus d’impôt dans la situation actuelle que si j’étais resté aux Pays Bas.

Pourquoi avoir choisi la France, pourquoi la Drôme ?
Dans les années 1990 nous sommes partis plusieurs fois en vacances dans les Antilles françaises : Martinique, Guadeloupe, et à un moment donné nous avions eu vraiment envie de nous y installer, mais le travail et notre compte bancaire ne l’ont pas permis. L’Extremadura, à l’intérieur de l’Espagne aussi avec une nature extraordinaire, était la favorite, mais la chaleur de l’été et la distance (2 jours en voiture) nous ont fait changer d’avis. Puis, la Drôme, un pays caléidoscopique, nous a séduits. À un seul jour d’autoroute ou de TGV de distance des parents, enfants et petits-enfants, c’est une région avec une nature très riche, assez sauvage, qui a répondu à tous nos besoins.


Drôme provençale by Pascal Vuylsteker–CC BY-SA 2.0

Avez-vous eu des doutes ? Comment les avez-vous gérés ?
Le souhait d’émigrer existait déjà longtemps, mais en tant que co-fondateur de l’entreprise où je travaillais, ce n’était pas possible de partir avant de l’avoir vendue. Un management buyout – un trio de nos jeunes consultants nous ont proposé de racheter la société – déclencha la possibilité de partir.

Nous avons commencé par louer un gîte de fin septembre à mi-décembre, pour faire l’expérience de la vie quotidienne hors été et vacances, travaillant à distance. Entretemps nous avons épluché les offres de maisons, d’abord sur internet. En avril suivant nous étions de retour pour un autre mois d’essai. Et à ce moment-là nous sommes tombés sur l’annonce d’une maison qui répondait à tous nos besoins, et même plus. Nous sommes partis à la recherche du Maire, qui n’a eu qu’une question : « C’est une maison secondaire ou pour vous installer ici ? – 8 mois ici, 4 mois au nord » avions-nous pensé. Une semaine plus tard, le compromis de vente était signé.

Début août nous sommes arrivés avec tout ce que nous voulions préserver de notre existence précédente : une grande remorque, même pas un camion : la maison nous était vendue à moitié meublée. Un an plus tard nous avons vendu notre maison aux Pays-Bas. Impossible d’entretenir deux maisons et inutile en plus, nous nous étions installés en France sans réserve.
Bilan
Presque cinq ans dans l’aventure, nous n’avons aucun regret. Oui, le français n’est pas facile, mais avec comme professeur une jolie femme qui vient quelques heures par semaine pour enseigner à un petit groupe d’étrangers, il y a un réel progrès, même si nous ne sommes pas encore aussi habiles que dans notre langue maternelle.

Après un apéro « bonjour-au revoir », organisé en commun avec l’ancienne propriétaire (qui est ensuite retournée dans son pays d’origine), ma femme a initié un petit groupe de tricoteuses sous condition qu’on n’y parle que le français. L’histoire du robot pour nettoyer les poules, qui, après interrogations des « vraies » Françaises, s’est révélé être plutôt pour nettoyer le pool (la piscine), fait encore rire.

En mars 2014, je suis tombé au milieu des élections communales et, quelques semaines plus tard, je me retrouvais au conseil municipal. À la troisième réunion le maire me donna le stylo pour écrire le compte rendu… J’ai fait de mon mieux et heureusement j’ai reçu beaucoup d’aide de plusieurs personnes. Ouf !


L’âne By: Annie Roi – CC BY 2.0

Joindre la chorale de la ville la plus proche était une autre étape qui m’a apporté beaucoup d’opportunités pour faire la connaissance de Françaises et Français et de leur mode de vie. Et naturellement, tout le monde a besoin d’un peu d’aide dans le domaine de l’ordi, ça vous rend vite populaire ! Entretemps, ma femme (se sentant encore un peu paysanne comme avant) a réintroduit des poules et un coq, un exemple suivi par quelques autres dans la combe. Un petit troupeau de brebis d’une race locale et encore un âne pour faire bonne mesure. Avec ça, c’en est fini des voyages, elle a pris racine.

Est-ce que vous vous sentez encore Néerlandais ?
Dans un sens oui, dans un sens non. Si je dis « chez nous », je pense à mon village français et pas, comme je l’observe chez quelques immigrés, à mon pays d’origine. Mon profil sur Google Actualités est celui de la France, avec en plus quelques mots clés pour suivre les grands titres des Pays Bas. Je ne regarde pas la télé, comme je ne la regardais pas avant de partir. Mais évidemment, avec des proches et quelques dizaines d’amis là-bas, ce n’est pas un pays comme un autre.

Quelques fois par an je m’y rends pour faire le tour de la famille. Ce qui me frappe chaque fois, c’est la densité de la population, l’éternel manque de temps dont tout le monde semble souffrir, la bataille pour deux mètres de goudron sur les routes, le bombardement de publicité partout, jour et nuit. Une petite semaine me suffit pour me faire revenir vers ma petite vallée en sachant que j’ai fait le bon choix.

Donc, pas de retour ?
On se pose parfois des questions : et si je tombe sévèrement malade ? Si je perds ma femme ou qu’elle reste seule ? Difficile de s’imaginer des situations comme ça, même si on sait que tout cela est bien possible, même probable. Notre maison est, au contraire de la plupart des maisons d’ici, bien accessible en fauteuil roulant, nécessitant seulement quelques adaptions minimales. Hôpitaux, médecins sont plus loin que dans les régions de population dense, mais, ici comme aux Pays-Bas, on peut constater une tendance à la concentration et à la spécialisation médicale qui rend l’argument caduc.

Un souci est encore la communication avec le médecin dans une situation de crise ; mauvaise idée du conseil départemental drômois d’éliminer les interprètes dans les hôpitaux. Qu’est-ce qu’ils proposent : apprendre le français à la perfection sous peine de mort ?
Petit souci aussi concernant l’assurance maladie. Les Pays-Bas prennent une prime d’assurance de ma pension et l’envoient vers la France. Ainsi nous avons une carte vitale française. Ça marche, mais, il y a dix ans, le gouvernement néerlandais a changé les règles et quelques retraités vivant en Espagne ont été obligés de se rapatrier, malgré le fait que cela a augmenté la facture pour l’État.

Je suis donc conscient que les expats se trouvent à la marge pour les politiciens quand ils développent des nouvelles réglementations. Il y a déjà eu des cas où il a fallu l’intervention de la Cour Européenne à Luxembourg pour forcer l’État néerlandais à changer des règles qui discriminaient les émigrés néerlandais dans l’UE.

Il y a aussi la question de l’assurance maladie privée. Sans faire la comparaison (aux Pays-Bas ce n’est pas mieux), le système français est assez étonnant. Le principe de toute assurance est qu’on n’assure que les risques qu’on ne peut pas porter soi-même. Par contre, les assureurs offrent de vous rembourser des petites sommes pour les risques banals, mais pour les risques sérieux leurs caisses restent fermées. C’est une paperasserie énorme, qui en plus fait monter les prix des outils comme les lunettes, mais n’augmente pas l’accessibilité des services médicaux. J’ai cherché en vain une assurance qui rembourse les frais médicaux au-delà de X euro par année, le montant X à choisir en fonction de ses propres moyens. Espérons qu’un entrepreneur malin saisisse cette opportunité.

Le plus grand souci : sans transport public, nous dépendons fortement de notre voiture. Espérons que notre faculté à conduire reste intacte jusqu’au moment où les « voitures autonomes » arriveront.

Je ne sais pas si les gens des grandes villes le réalisent, mais internet a complètement changé la vie à la campagne : le manque de commerces spécialisés, de librairies, de cinémas, ou bien l’isolement : tout cela est largement résolu par les services du Bon Coin, d’ Amazon, de Netflix et de Skype. Acheter une pièce détachée depuis les États-Unis pour le PC du voisin ? Un livre spécifique ? Une info sur n’importe quel phénomène ? Une conférence avec les collègues dirigeant une association internationale ? Tout cela est possible, même si l’accès à internet n’est pour le moment pas très fiable. Mais dans quelques années, le syndicat mixte « Ardèche Drôme Numérique » nous installera la fibre optique jusqu’à la maison. Ce sera la clé de voûte de la vie moderne à la campagne.

Autre chose à ajouter ?
Le témoignage de Laurent, Français expatrié aux Pays-Bas, nous a bien amusés et étonnés, puis fait réfléchir. Nous partageons plusieurs de ses observations, même si nous avons voyagé dans l’autre sens. Une pareille sensation de libération chez Gilles en Al. Par contre, une voisine française, revenue pour sa retraite dans son village de naissance, se sent parfois observée comme nous nous sommes sentis observés quand nous vivions aux Pays-Bas. Comment comprendre ce paradoxe ?

Peut-être le statut d’expat’ donne une certaine liberté sociale, qui entraîne une tolérance des voisins et collègues dont ne jouit pas l’autochtone. Les gens des alentours acceptent qu’on soit un peu différent, un peu mal adapté, tandis que, dans son propre environnement, on sent le regard scrutant – imaginé ou pas – de l’autre.


Marsanne By: jean-louis Zimmermann – CC BY 2.0

Source contrepoints.org


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