lundi 30 janvier 2012

Billets-Qu’est-ce que l’anarchisme?

Qu’est-ce que l’anarchisme?

Définir l’anarchisme est une tâche des plus délicates. Nous avons affaire à un phénomène complexe dont les expressions historiques, tant au niveau de la pensée que de l’action, sont multiples. Malheureusement, la plupart des définitions, même celles élaborées par des commentateurs sympathisants, sont simplistes et n’arrivent pas à embrasser l’ensemble de ses caractéristiques.
Dans presque tous les ouvrages que j’ai lus sur le sujet, l’anarchisme est défini de façon négative, c’est-à-dire par ce à quoi il s’oppose. En se basant sur la racine grecque du mot (anarkhia, absence de chef), on présente l’anarchie comme « l’absence de gouvernement » et l’anarchisme comme « l’idée qu’une société peut et doit s’organiser sans gouvernement ». Le problème avec ses « définitions »… c’est qu’elles n’en sont tout simplement pas. Une définition, si je me base sur mon Larousse, est une « énonciation de ce qu’est une chose, de ses caractères essentiels, de ses qualités propres ». Si je dis qu’une pomme n’est pas un animal, personne n’osera dire que j’ai énoncé les caractères essentiels de ce phénomène !
Une définition adéquate de l’anarchisme ne doit pas se limiter à son aspect «critique» mais également en exposer le projet de société ainsi que les moyens de changement social. De plus, il est essentiel d’expliquer les bases philosophiques de l’anarchisme, en particulier sa conception de la liberté et de la nature humaine.
Voici donc ma définition personnelle de l’anarchisme. Comme vous le constaterez, elle comporte quatre parties, qui seront expliquées en détail dans le texte qui suit.
ANARCHISME. n.m. Philosophie politique qui, à partir d’une définition tripartite de la liberté et d’une conception spécifique de la nature humaine, offre une critique radicale des liens de domination hiérarchiques, un projet de société antiautoritaire et une stratégie de changement social basé sur l’action directe.

La Liberté
Tout comme les libéraux, les anarchistes ont une conception « négative » de la liberté, c’est-à dire que la liberté est l’absence de contraintes. L’individu libre est celui qui n’est pas soumis à des contraintes extérieures à lui-même.
A cette conception négative s’ajoute une conception « positive » de la liberté. Tous les anarchistes considèrent que la liberté est également une potentialité, la possibilité pour l’individu de se réaliser et d’atteindre son plein potentiel.
Enfin, les anarchistes ont une conception « sociale » de la liberté, qui a pour conséquence de lier de façon indissociable la liberté et l’égalité. En effet, l’anarchisme postule que l’individu ne peut être totalement libre qu’au sein d’une société composée d’individus libres. Ainsi, pour Bakounine, « l’homme n’est réellement libre qu’autant que sa liberté, librement reconnue est représentée comme par un miroir par la conscience libre de tous les autres, trouve la confirmation de son extension à l’infini dans leur liberté. L’homme n’est vraiment libre que parmi d’autres hommes également libres ; et comme il n’est libre qu’à titre humain, l’esclavage d’un seul homme sur la terre, étant une offense contre le principe même de l’humanité, est une négation de la liberté de tous. » (Catéchisme révolutionnaire)

Une critique de la société actuelle
Toutes les variantes de l’anarchisme ont en commun une critique des sociétés contemporaines qui se base sur des principes antiautoritaires découlant de leur conception de la liberté.
Les anarchistes contestent tous les rapports de domination hiérarchique, de quelque nature qu’ils soient (oppression de classe, de race, de sexe, d’orientation sexuelle, domination de la nature, etc.). La critique anarchiste s’étend à toutes les institutions oppressives, église, armée, police, etc., et en tout premier lieu l’Etat, qu’ils considèrent comme l’institution suprême de domination.
L’étendue de cette critique est d’ailleurs un des facteurs qui distingue l’anarchisme du marxisme. Comme l’a fait remarquer Henri Arvon, l’anarchisme conteste l’oppression autant que l’exploitation, l’autorité autant que la propriété et l’Etat autant que le capitalisme. Ceci explique pourquoi plusieurs écologistes, féministes, pacifistes, syndicalistes et militants pour les droits de la personne sont attirés par l’anarchisme.

Un projet de société libertaire
Est anarchiste toute idéologie dont le projet de société, appelé « anarchie », est déterminé par cette conception de la liberté. Ce projet varie selon les types d’anarchisme, mais la plupart prescrivent des structures de sociales non-hiérarchiques, radicalement démocratique et décentralisées.
Pour les individualistes, la société n’est pas un organisme mais une simple collection d’individus autonomes. Pour satisfaire son intérêt personnel, l’individu peut s’unir aux autres et s’associer, mais cette association ne reste qu’un moyen pour servir sa fin.
Les anarcho-syndicalistes sont les héritiers du collectivisme de Bakounine. Selon leur vision de la société anarchiste, les syndicats exproprient le capital et chaque groupe de travailleurs disposent de ses propres moyens de production. La répartition des produits et des services est alors l’objet d’une décision collective.
Finalement, les anarcho-communistes (ou communistes libertaires, ou communistes anarchistes) prévoient l’établissement de communautés (communes) autogérées où tous travailleraient selon leurs capacités et tous consommeraient selon leurs besoins. Ces communautés sont fédérées pour exécuter en coordination des projets les concernant.

La nature humaine
Les anarchistes ont aussi en commun une perception de la nature humaine qui justifie la viabilité d’une telle société libertaire.
Cette perception n’est toutefois pas la même chez tous les anarchistes. Par exemple, Kropotkine considérait que l’instinct de coopération d’aide mutuelle prédominait chez toutes les espèces animales et trouvait son incarnation parfaite chez l’humain. Mais la plupart des anarchistes ont plutôt développé une conception existentialiste de la nature humaine, estimant que les comportements humains s’adaptent aux structures et aux normes sociales.
Quoi qu’il en soit, tous sont parfois d’accord pour dire que l’humanité a la capacité de vivre et de se développer sans être soumise à des institutions hiérarchiques et répressives.

Une stratégie de changement
Enfin, les anarchistes ont en commun d’offrir une stratégie de changement révolutionnaire impliquant l’institution immédiate de l’anarchie. Ils s’opposent tous aux stratégies autoritaires (dictature du prolétariat) ainsi qu’à la formation de partis hiérarchisés, et sont généralement abstentionnistes lors des élections. Les anarchistes croient en la spontanéité révolutionnaire et préconisent l’action directe, qui peut prendre plusieurs formes.
C’est au sujet des stratégies de changement que les anarchistes sont le plus partagés. Par exemple, certains ont préconisé, principalement lors des deux dernières décennies du XIXe siècle , une forme de terrorisme appelée « propagande par le fait ». Mais après une vague d’attentats individuels qui n’ont mené qu’au rejet populaire de l’anarchisme et à un regain de répression, cette stratégie a été abandonnée par les anarchistes. Les anarcho-communistes insistent quant à eux sur l’action communautaire, sur la formation d’institutions libertaires sur une base locale qui pourront renverser et remplacer l’ordre capitaliste et étatique. Les anarcho-syndicalistes axent leur stratégie sur le syndicat, qui est conçu comme l’embryon de la société nouvelle ; ils préconisent des formes d’action directe comme le sabotage, le boycott, la grève partielle et la grève générale révolutionnaire. Les anarcho-pacifistes insistent quant à eux sur l’action directe non-violente et sur la désobéissance civile comme moyen de renverser l’ordre hiérarchique oppressif.
Bien que les anarchistes soient révolutionnaires et spontanéistes, il ne faut pas croire pour autant qu’ils rejettent les formes de lutte partielles et quotidiennes. Au contraire, des anarchistes comme Elisée Reclus considèrent qu’évolution et révolution font partie d’un même processus et que chaque action peut être efficace si elle est conforme aux principes anti-autoritaires. Les anarchistes considèrent également l’éducation comme étant un des principaux moyens d’accéder à la société libertaire.
Il est toutefois à noter qu’une minorité importante d’anarchistes n’est pas révolutionnaire. En effet, la plupart des individualistes anarchistes considèrent que les « rêves de grands soirs » sont eux-mêmes potentiellement répressifs et estiment que c’est à l’individu de se libérer en rejetant lui-même la société dominatrice. Pour beaucoup d’individualistes, être anarchistes signifie être « en dehors » et vivre selon ses propres principes, en refusant de collaborer aux institutions oppressives. Cette attitude, particulièrement répandue chez les individualistes français du début du siècle, a mené certains anarchistes (comme Georges Palante) vers une forme d’individualisme aristocratique, d’inspiration nietzschéenne.


dimanche 29 janvier 2012

Recettes Cheesecakes-Cheesecake nougatine

Cheesecake nougatine

Préparation : 45 mn
Cuisson : 60 mn
Repos : 12 heures
Pour 6 à 8 personnes
Pour la crème :
350 g de ricotta
350 g de fromage frais type Saint -Moret
100 g de sucre
3 œufs entiers
1 zeste de citron finement râpé
1 zeste de citron finement râpé
1 cuillerée à café d’extrait de vanille
Pour la nougatine :
110 g de noix du Brésil
400 g de sucre
Pour la touche finale :
75 g de farine
50 g de beurre
1 cuillerée à soupe de cassonade
1. Préchauffez le four à 180 °C (th. 6).
2. Étalez les noix sur une plaque. Faites-les griller au four 6 minutes environ jusqu’à ce qu’elles deviennent légèrement dorées.
3. Pour préparer la nougatine, faites fondre le sucre dans une casserole avec 2 verres d’eau sur feu moyen. Portez à ébullition. Lorsque le sucre aura pris une belle couleur dorée, ôtez la casserole du feu et trempez-la dans l’eau froide pour arrêter la cuisson. Ajoutez les noix grillées et mélangez avec une spatule en bois. Dès que le mélange cesse de bouillonner, versez-le sur une grande assiette plate légèrement huilée. Si le caramel a durci avant, remettez-le un instant sur feu très doux avant de le verser de nouveau. Laissez refroidir un peu, puis enfoncez bien les noix dans le caramel. Laissez refroidir complètement avant d’envelopper dans du papier d’aluminium et de mettre à durcir au frais. Une fois la nougatine bien dure, écrasez-la avec un rouleau à pâtisserie ou hachez-la au couteau.
4. Préchauffez four à 140 °C (th. 4).
5. Préparez la crème en fouettant les fromages et en y ajoutant tous les ingrédients, successivement, en fouettant bien à chaque fois. Versez dans un moule, de 20 cm de diamètre à bords hauts, et faites cuire 1 heure.
6. Préparez la touche finale du bout des doigts, travaillez ensemble la farine, le beurre et le sucre. Dis minutes avant la fin de la cuisson, répartissez ce mélange sur le gâteau et remettez au four pour faire dorer.
7. Sortez du four, laissez refroidir complètement puis mettez au frais. Juste avant de servir, répartissez les éclats de nougatine sur la surface.
Rien en-dessous, mais une irrésistible nougatine croustillante sur le dessus.
Variante
Vous pouvez remplacer les noix de la nougatine par des noisettes, des amandes ou des pistaches.

samedi 28 janvier 2012

Recettes Cheesecakes-Cheesecake au chocolat blanc

Cheesecake au chocolat blanc

Préparation : 40 mn
Cuisson : 60 mn
Repos : 12 heures
Pour 6 à 8 personnes
Pour la base :
125 g de florentins au chocolat blanc
20 g de beurre fondu
Pour la crème :
350 g de fromage ricotta
350 g de fromage frais type Saint-Moret
100 g de sucre
3 œufs entiers
1 cuillerée à café d’extrait de vanille
100 g de chocolat blanc haché
200 g de cerises dénoyautées à l’eau de vie
Pour le décor :
Quelques cerises fraîches
100 g de chocolat blanc haché
1. Préchauffez le four à 140 °C (th. 4).
2. Écrasez les florentins avec le beurre fondu ; garnissez le moule et glissez-le au frais.
3. Battez ensemble les fromages pendant 30 secondes pour bien les lisser. Ajoutez le sucre puis les œufs, un par un, puis la vanille. Incorporez délicatement le chocolat et les cerises.
4. Versez dans un moule, de 20 cm de diamètre à bords hauts, et enfournez pour 1 heure : la crème doit être juste prise sur les pourtours, encore un peu tremblotante au centre du gâteau. Laissez dans le four, porte entrouverte, encore 1 heure. Laissez refroidir complètement hors du four avant de démouler et de placer au frais, si possible jusqu’au lendemain.
5. Préparez le décor : mettez les 100 g de chocolat dans un bol, placez ce bol au-dessus d’une casserole d’eau bouillante, hors du feu. Tournez pour lisser. Trempez quelques cerises dans le chocolat et placez-les au frais. Étalez le reste du chocolat sur une surface plane et lisse, par exemple, le dos d’une grande assiette, sur une épaisseur de 5 mm. Mettez au frais 45 minutes, le temps que le chocolat durcisse bien. Détachez alors des copeaux ou au moins des râpures, à l’aide d’une raclette à fromage ou d’un couteau. Gardez les copeaux au réfrigérateur jusqu’à utilisation. Décorez le gâteau et servez.
Variante
Vous pouvez aussi faire ce cheesecake avec du chocolat noir !

vendredi 27 janvier 2012

Recettes Pâtisseries orientales-Briouates aux amandes

 
Briouates aux amandes

Préparation : 40 mn
Cuisson : 4 mn par gâteau
Pour 20 gâteaux
10 feuilles de brick
Huile pour bain de friture
300 g de miel liquide
Pour la farce :
200 g d’amandes en poudre
50 g de sucre en poudre
1 cuillerée à café de cannelle en poudre
2 cuillerées à soupe d’eau de fleurs d’oranger
1. Préparez la farce. Mélangez les amandes en poudre, le sucre, la cannelle et l’eau de fleur d’oranger jusqu’à obtenir une préparation homogène.
2. Coupez les feuilles de brick en deux. Prenez une demi-feuille (laissez les autres feuilles sous un linge humide pour éviter qu’elles sèchent). Repliez vers le milieu la partie ronde du demi-cercle pour obtenir une bande rectangulaire.
3. Posez un peu de farce à une extrémité de la bande. Pliez la bande en biais sur la farce en formant un triangle. Faites un nouveau pli en retournant ce triangle sur la bande. Continuez de plier en triangle jusqu’au bout de la bande. Glissez le morceau de feuille de brick qui dépasse dans la dernière pliure, comme pour fermer une enveloppe.
4. Faites frire les briouates dans l’huile de friture bien chaude pendant 2 minutes de chaque côté, jusqu’à ce qu’elles soient bien dorées. Sortez-les de l’huile et plongez-les rapidement dans le miel. Laissez-les ensuite s’égoutter et refroidir sur une grille, elle-même posée sur un plateau pour recueillir le miel.
Cette petite pâtisserie croustillante enrobée de miel vient du Maroc, où elle se décline également en version salée.

jeudi 26 janvier 2012

Recettes Pâtisseries orientales-Sablés aux dattes et au sésame

Sablés aux dattes et au sésame


Préparation : 30 mn
Cuisson : 10 mn
Pour 20 gâteaux
100 g de beurre
1 œuf entier
1 jaune d’œuf
1 pincée de sel
70 g de sucre glace
230 g de farine
Graines de sésame
Pour la farce :
250 g de pâte de dattes
1 cuillerée à café d’huile de sésame
1 cuillerée à café de cannelle en poudre
1. Préchauffez le four à 180 °C (th. 6).
2. Coupez le beurre en petits morceaux et laissez-le ramollir. Travaillez-le ensuite au fouet jusqu’à obtenir une pommade. Ajoutez l’œuf battu, la pincée de sel, le sucre glace, puis petit à petit la farine, jusqu’à obtenir une pâte lisse. Rassemblez la pâte en boule et réservez-la au réfrigérateur.
3. Faites ramollir la pâte de dattes au micro-ondes pendant 2 minutes à puissance maximale. Ajoutez l’huile de sésame et la cannelle ; malaxez à l’aide d’une cuillère.
4. Étalez la pâte sur 3 mm d’épaisseur sur un plan de travail légèrement fariné. Découpez-y des disques de 5 cm de diamètre. Prenez un disque à la main et déposez au milieu une boule de farce de 10 g environ (de la taille d’une noix). Rabattez la pâte autour de la farce en formant une boule que vous aplatirez légèrement. Préparez ainsi les autres gâteaux jusqu’à épuisement des ingrédients. Dorez-les ensuite avec du jaune d’œuf et saupoudrez-les de graines de sésame.
5. Disposez les gâteaux sur une plaque recouverte de papier sulfurisé et enfournez pour 10 minutes.
Conseil
Vous pouvez remplacer la farce aux dattes par 200 g de pistaches concassées, mélangées avec 1 cuillerée à café de cannelle.

mercredi 25 janvier 2012

Billets-Les Hackers

Les Hackers
Les Anonymous, Telecomix, le Parti pirate… Armés de leur clavier et de leur savoir-faire, les hackers sont devenus un vrai contre-pouvoir. La technologie au service de la démocratie ?
C'est un pirate inquiétant, tapi dans l'ombre. Ses doigts agiles pianotent sur le clavier de son ordinateur, au-delà de la vitesse légale. Il entre partout, sans frapper aux portes. Cybercriminel, chapardeur de cartes Bleue, incubateur de virus, il inquiète autant qu'il fascine. Robin des bois numériques, il vole aux riches pour nourrir son ego. Avec lui, le grand public entretient un rapport qu'on pourrait juger à l'aune de I love you (moi non plus), le fameux logiciel malveillant qui a infecté les ordinateurs familiaux au printemps 2000. Voilà pour l'image publique du hacker. C'est sa face, réductrice, voire trompeuse. Car il y a son côté pile. Celui qui a explosé aux yeux du monde avec le site WikiLeaks en 2010. Pour publier des centaines de milliers de documents classifiés de l'administration américaine, Julian Assange, son fondateur, s'est allié aux plus grands titres de la presse mondiale, le New York Times, le Guardian ou encore Le Monde. Il a fait entrer les hackers dans le sérail de l'investigation.

L'investigateur
Julian Assange, âge : 40 ans.
Trimballé d'école en école pour échapper à un père membre d'une secte new age, l'Australien commence à s'intéresser au hackingavant même sa majorité. A la fin des années 1980, il prend le nomde Mendax au sein d'un collectif au sobriquet menaçant, The International Subversives. Arrêté en 1991, il échappe miraculeusement à la prison en aidant la police à identifier des pédophiles.
Fait d'armes : En cinq ans à la tête de WikiLeaks, le retors Assange a bousculé le journalisme d'investigation en même temps qu'il est devenu l'ennemi numéro un de l'administration Obama.
En Tunisie, en Egypte ou en Libye, quand la censure a frappé Internet, ce sont aussi les hackers qui ont permis à l'information de jaillir, en dé­gageant des canaux de secours (en ouvrant des lignes alternatives). Le printemps arabe leur a offert une formidable occasion de prouver que la technique peut servir la démocratie. Quand la liberté d'expression tombe sous les balles réelles, les hackers ripostent avec leurs armes. Ils incarnent une nouvelle forme de protestation, asymétrique : celles des anonymes contre les puissants, des citoyens contre les pouvoirs institutionnels qui les piétinent. Dans le paysage recomposé de l'information, les hackers sont-ils en train de changer le monde ? De s'imposer comme une nouvelle force politique ? Comme un cinquième pouvoir face au quatrième (la presse) ? Pourquoi le font-ils ? Nous avons enfilé nos meilleures chaussures pour partir sur les sentiers vicinaux du Réseau et leur poser ces questions.
Commençons par les Anonymous, les sans-nom d'Internet qui terro­risent les gouvernements depuis cinq bonnes années, et une attaque en règle contre l'Eglise de scientologie. Pour les trouver, il faut s'aventurer dans la jungle inextricable des canaux IRC (pour Internet Relay Chat), un protocole de communication qui permet d'échanger instantanément avec plusieurs centaines de personnes. Pendant les révolutions arabes, ils y organisaient la résistance dans un joyeux capharnaüm. L'accès est libre, anonyme. La navigation est sportive, erratique. Pas la peine de chercher un porte-parole ou de réclamer une interview, il faut prendre la vague, jongler entre les kyrielles d'opérations spéciales (abrégées #Op, pour les lecteurs les plus avertis) et le sabir inintelligible. Chez les Anonymous, il existe autant de vérités que de membres revendiqués. N'importe qui peut enfiler le costume. En guise d'identité, ils n'ont qu'un slogan frondeur, « Nous sommes les Anonymous. Nous sommes légion. Nous ne pardonnons pas. Nous n'oublions pas. Préparez-vous. »
Ils portent également un masque, celui de V - un personnage de comic inspiré par Guy Fawkes, un conspirateur britannique du XVIe siècle. Ce visage au drôle de sourire, c'est aussi celui qui a été choisi par les indignés du mouvement Occupy. Au cours de leur jeune existence, les Anonymous ont considérablement enrichi leur palette, en pilonnant les sites gouvernementaux de potentats arabes accrochés à leur trône (Les Anonymous utilisent massivement les attaques par déni de service (DDoS), qui permettent de saturer un site en le bombardant de requêtes) sans jamais se départir de l'hu­mour potache qui constelle leurs échanges. Comment dégager une co­hé­rence dans cette agora turbulen­te ? Gabriella Coleman qui vient à notre rescousse, anthropologue à l'université de New York, suit la mouvance depuis ses balbutiements : « Les Anonymous sont politiquement plus so­phis­tiqués qu'avant, relève-t-elle. Ils sont passés du statut de trolls (Dans le vocable d'Internet, un troll est une personne qui pollue volontairement les échanges pour le seul plaisir du désordre que cela occasionne) à celui de militants. Aujourd'hui, la typologie des individus et des actions s'est élargie. Pendant le printemps arabe, on a bien vu que les Anonymous, à défaut d'être un groupe structuré et homogène, avaient des rôles définis. »

Le cyberministre
Slim Amanou, âge : 34 ans.
Entrepreneur du Net, blogueur, le Tunisien est plus connu sous son pseudonyme, qui est aussi son compte Twitter : @slim404, une référence à Ammar404, le nom donné par les cyberactivistes à la censure numérique de Ben Ali.
Fait d’armes : Emprisonné durant quatre jours après avoir attaqué des sites du gouvernement, il est propulsé secrétaire d’Etat à la Jeunesse et aux Sports dès sa sortie de détention. Démissionnaire quatre mois après, il est retourné à sa start-up et rêve aujourd’hui d’une démocratie connectée et transparente de l’autre côté de la Méditerranée.
A force de naviguer sur les sept mers de l'Internet sans sextant ni boussole, on finit par croiser Okhin, qui se présente comme un « cypherpunk » (Contraction de cypher (chiffrement, en anglais) et du punk de cyberpunk (celui qui vit dans un monde dystopique), le cypherpunk prône l'usage de la cryptographie, c'est-à-dire la sécurisation de ses communications pour préserver sa vie privée), un prédicateur de la cryptographie doublé d'un défenseur de la vie privée. Il nous donne rendez-vous sous les voûtes d'un bar interlope de Saint-Michel à Paris. 30 ans, cheveux longs, haute carrure, élocution claire comme s'il avait répondu à des interviews toute sa vie, il est administrateur système dans le civil, agent Telecomix la nuit. Telecomix est un groupe décentralisé d'une trentaine de personnes - qui se compare à une méduse -, sans leader - décidément -, né en Suède il y a trois ans, pendant le vote d'une loi sur la régulation des télécommunications. « Nous, on ne détruit pas, on construit. Les Anonymous sont les punks d'Internet, on est les hippies. » Sur le papier, rien ne destinait ces aliens à défier frontalement les dictateurs d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient. « On est une génération de joueurs, de gamers, qui sautons de niveau en niveau, comme dans un jeu vidéo, rigole Okhin. C'est grisant de mettre un Etat à genoux à la seule force de l'informatique, et ça coûte 15 euros par mois [le prix d'un serveur, NDLR]. » C'est le black-out sur l'Internet égyptien qui les a fait basculer : « Cette coupure a profondément choqué la communauté hacker. » Depuis un an, à raison de deux à six heures par jour, Okhin aide des dissidents à contourner la censure, notamment en Syrie.
Le chasseur
Bluetouff, âge : 35 ans.
Olivier Laurelli traîne le sobriquet de « Bluetouff » depuis plus de dix ans (la technologie Bluetooth conjuguée à sa masse capillaire, largement élaguée sur la photo ci-dessus en prévision d’une réunion à l’Assemblée nationale). Il a lancé le site Reflets.info, tentative bénévole de rassembler hackers et journalistes sous une bannière commune.
Fait d’armes : Son site a mis la puce à l’oreille des médias sur la vente de technologies de surveillance par des entreprises françaises à la Libye de Kadhafi.
Fondé sur le principe de « do-ocratie » (la démocratie du « faire »), Telecomix décide tout en ligne. Le groupe opère sans ressources financières (« Une opération qui coûte de l'argent est une mauvaise opération »), et sans peur des risques. C'est un facteur consubstantiel de leurs exploits : la loi s'accommode parfois mal de la performance des hackers qui dérangent les pouvoirs. Kevin Mitnick, une des grandes figures du milieu dans les années 1990, s'est ainsi retrouvé sur la liste des dix criminels les plus recherchés par le FBI. Julian Assange, quinze ans après, n'est pas en meilleure posture : l'Australien aux coupes de cheveux interchangeables est assigné à résidence dans son manoir du Suffolk depuis plus de quatre cents jours, un bracelet électronique et une foi inextinguible dans la transparence chevillés au corps. Pris dans une affaire de mœurs en Suède, il pourrait également être inculpé aux Etats-Unis, où le gouvernement essaie de le faire tomber.
Julian Assange n'a pas uniquement dérangé les Etats, il a aussi sacrément bousculé un autre pouvoir : la presse. En sortant de la clandestinité, en s'adossant à des titres prestigieux pour donner plus d'assise à ses révélations, il s'est « dé-marginalisé », en même temps qu'il obligeait les médias à évoluer. Au mois de septembre, Alan Rusbridger, le directeur de la rédaction du Guardian, revenait pour Télérama sur sa collaboration avec le site le plus dangereux de la planète. « WikiLeaks a instauré un nouveau type de rapports entre le journalisme et la technologie », reconnaissait-il. Peu à peu, les investigateurs assimilent les techniques des hackers : chiffrer (crypter, dirait de façon impropre le commun des mortels) ses courriels avec une clé PGP (Pour Pretty Good Privacy (« assez bonne vie privée »), un logiciel vieux de vingt ans permettant de chiffrer ses communications) ou communiquer « off the record » (OTR, comme ils disent) sur un tchat sécurisé pour protéger leurs sources. Sur l'un d'eux, bien caché derrière plusieurs verrous et un pseudonyme, Julian Assange, nous le confie : « Cette époque rappel­le les premiers pas de l'imprimerie. » Les hackers, des moines copistes en avance sur leur temps…

Le lobbyiste
Jérémie Zimmerman, âge : 33 ans
Il se consacre depuis près de quatre ans à la Quadrature du Net, l'association de défense des libertés numériques, qu'il a cofondée.
Faits d'armes : Présent dans tous les débats publics sur la défense d'Internet, Jérémie Zimmerman garde également un œil sur la Commission européenne ou sur les instances de régulation des télécoms. Son combat du moment : exterminer l'ACTA, un maxi-traité anticontrefaçon qui durcirait encore la propriété intellectuelle.
Le même processus de « normalisation » s'opère entre les hackers et les institutions. Telecomix a récemment engagé le dialogue avec Reporters sans frontières et la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme. Mais tient à son indépendance : « Si on était payés pour bosser à plein temps sur Telecomix, est-ce qu'on le ferait encore ? » se demande Okhin. Pour atteindre les politiques, d'autres recourent au lobbying et défendent la liberté d'expression en ligne. C'est le cas de Jérémie Zimmermann, le cofondateur de La Quadrature du Net, l'une des principales associations françaises dans ce domaine. Depuis près de quatre ans, cet empêcheur de légiférer en rond compulse des amendements, épluche le Journal officiel, multiplie les rendez-vous, au rythme infernal de soixante-dix heures par semaine, pour « mettre le hacking au service des institutions démocratiques. C'est sûrement moins efficace que l'approche illégale, mais c'est complémentaire. Si vous me passez l'expression, voilà comment on pirate une loi ». Lionel Tardy, député UMP de Haute-Savoie et informaticien de formation, renchérit : « Les ha­ckers ont leur rôle au même titre que d'autres acteurs au sein de l'Assemblée nationale, celui de sentinelles, de garde-fous. Ce sont les seuls à intervenir sur les libertés publiques. »
Du lobbying au militantisme politique, il n'y a qu'un pas. Que Rick Falkvinge franchit. « Evangéliste politique » tel qu'il se décrit alors que nous l'interrogeons sur Skype depuis sa campagne suédoise, il a fondé le premier Parti pirate, en 2005. L'objectif à l'époque ? Le libre partage de la connaissance, sans l'entrave de la propriété intellectuelle. Aujourd'hui, le Parti pirate international agrège plus de quarante branches dans le monde, dont la moitié sont enregistrées comme des partis politiques traditionnels ; la plus jeune élue du Parlement européen est une pirate suédoise de 24 ans ; et si en France le PP ne pèse guère plus que quelques di­zaines d'euros sur un livret A, sa crois­sance en Allemagne dépasse toutes les attentes. En septembre dernier, quinze membres du Parti pirate sont entrés au parlement de Berlin.
Alexander Morlang est l'un d'entre eux. On le croise à Berlin lors de sa pause déjeuner au Chaos Communication Congress, la grand-messe des hackers organisée depuis vingt-huit ans par le vénérable Chaos Computer Club (CCC). Entre une piscine à boules et deux conférences aux intitulés incompréhensibles, certains s'exercent au crochetage de serrures, et d'autres font voler des drones de leur confection. Tout en sirotant leur Club-Mate, boisson officielle des hackers, thé gazeux hautement caféiné. Morlang, lui, a enfilé comme chaque année sa casquette de bénévole. Administrateur système, motard chevronné, membre du CCC depuis ses 14 ans - il en a 37 -, il est entré au Parti en 2009. Autour d'un plat de lasa­gne froides, il vante la « démocratie liquide » de sa formation politique, qui soumet la moindre décision à l'approbation de ses membres sur une plate-forme dédiée (un wiki). « En ce moment, la classe politique vote beaucoup de lois contre les hackers. Nous sommes là pour leur rappeler que les hackers peuvent aussi actionner des leviers. »
Crédité de 10 % des intentions de vote à l'échelle nationale, le parti au drapeau noir (Piratenpartei), en s'appuyant essentiellement sur la seule défense des libertés publiques, constituerait aujourd'hui la quatrième force politique d'Allemagne. De quoi provoquer un aggiornamento ? « Comme les logiciels que nous utilisons, nous devons faire une mise à jour programmatique, explique Morlang. Nous avons débuté comme un réseau éclaté. Comment rester nous-mêmes maintenant que nous sommes devenus un arbre ? » Rick Falkvinge, qui a récemment abandonné la pré­sidence du Parti pirate suédois pour propager la bonne parole, est persuadé que les hackers sont à la veille de leur grand soir : « Tous les quarante ans, une nouvelle génération régénère la démocratie, quand les activistes pré­cédents sont devenus des politiciens. Les libéraux sont arrivés au pouvoir il y a cent vingt ans, les sociaux-démocrates il y a environ quatre-vingts ans, et les écologistes sont arrivés sur la scène politique il y a à peu près quarante ans. Nous sommes mûrs pour une répétition du cycle. » 
Source Olivier Tesquet (Télérama)

lundi 23 janvier 2012

Billets-Rencontre avec François Cluzet

 
Rencontre avec François Cluzet

Rempart contre les douleurs de l'enfance, son métier d'acteur l'a fait renaître puis reconnaître. Et triompher avec "Intouchables". Rencontre avec François Cluzet.

A 56 ans, François Cluzet aura connu bien des tourmentes. Professionnelles et personnelles. Est-ce ce qui rend son jeu si riche, son humanité si rayonnante et fait de lui aujourd'hui le comédien français le plus populaire ? Rencontre avec un jusqu'au-boutiste qui, de théâtre en cinéma, n'a jamais renoncé à ses illusions et ses rêves.
Comment expliquez-vous le triomphe d'Intouchables ?
Simplement ! Le film donne à voir avec grâce et tendresse une histoire vraie, bouleversante et drôle, qui apporte de l'espoir en des temps de plus en plus durs... Ce qui lie le milliardaire handicapé que j'incarne et cet auxiliaire de vie a priori peu recommandable qu'interprète Omar Sy transmet une idée de collectif, de partage dont on a besoin aujourd'hui. Ce siècle sera humain ou ne sera pas.
D'où vient la « grâce » d'Intouchables ?
De la complicité avec Omar. Pour le rôle, je suis allé voir avec lui, au Maroc, Philippe Pozzo di Borgo, dont c'est l'histoire. Il nous a laissés assister à tous ses soins - trois heures par jour ! - et il a insisté pour que le film soit drôle. J'ai voulu lui extorquer des aveux. Et les moments où il souffrait ? Et à quoi pensait-il quand il ne dormait pas ? Et les peurs que suscitait sa dépendance ? Comme acteur, j'avais besoin d'avoir des secrets à cacher. Il n'a rien dit. Il veut prouver que le handicap n'est pas un enfer, qu'on peut garder sa séduction. Il a compris que s'il n'était pas séduisant, les gens le fuiraient vite, parce qu'il les terrifierait. Ainsi, il a pris soin de parler de ce qui m'intéressait ; il désirait un échange et pas de compassion. C'était bouleversant.
Comment avez-vous travaillé par la suite ?
D'abord, je suis resté couché dans mon lit sans bouger des jours entiers pour comprendre ce qu'il éprouvait. Je savais que le grand moment serait l'arrivée de l'accessoire-chef sur le plateau : le fauteuil ! Quand il a été livré, je n'ai pas voulu m'y installer immédiatement devant l'équipe : j'avais peur « d'anecdotiser ». Je voulais être seul pour enregistrer mes sensations. Je me parle toujours à moi-même pour me chauffer : « Voilà Cluzet, t'as voulu faire le con, t'as roulé trop vite en moto, ta vie est foutue... » Ça me permet de mémoriser ce que je ressens. Mais le plus passionnant a été ma relation avec Omar, la plus complète de toute ma carrière.

Photo : Thierry Valletoux

En quoi ?
Non seulement il fallait être séduisant, comme Pozzo di Borgo l'avait été avec moi, pour l'émouvoir, mais je devais accueillir avec bonheur tout ce qu'il me donnait, pour le pousser à donner davantage encore. Plus mon regard était émerveillé, comme un enfant de 6 ans devant un magicien, meilleur il était. Je lui avais dit : « Je joue pour toi, mais je ne peux t'offrir que mon regard amical et amoureux. Tu dois jouer pour deux. T'inquiète pas : tu as tellement de cœur que tu réussiras. » Il a réussi. Et il m'a rendu bon. C'est le partenaire qui fait l'acteur, et le grand partenaire, le grand acteur. Les mauvais comédiens parlent volontiers d'eux-mêmes, comme les monstres ou les dictateurs d'ailleurs... Souvent, ils ne daignent jouer que lorsqu'ils se savent cadrés en gros plan. Ils se regardent. Or, pour moi, le seul regard qui vaille est celui du partenaire. C'est son œil qui m'indique si je suis crédible ou pas. Un comédien ne joue pas en circuit fermé. Pour être au top, il doit valoriser celui qui est en face de lui ; c'est ce qui passe entre eux qui est beau. Au bout de trente-cinq ans de métier, je crois d'ailleurs que je suis meilleur dans le contrechamp, dans le « off » que dans le « in » ; j'y vais plus loin, je me sens libéré de la pression de la caméra dont j'ai toujours l'impression qu'elle ne filme que mes suffisances. Je n'aime pas me voir. Sur un tournage, je ne vais aux rushs que par respect pour l'équipe.
Un acteur n'est-il pas fondamentalement narcissique ?
Surtout pas ! On n'est pas là pour se plaire, mais pour endosser les monstruosités. Le metteur en scène Alain Françon, avec qui j'ai travaillé au théâtre à mes débuts, répétait toujours : « Si les acteurs ne se préoccupent pas de représenter les monstres, qui donc va s'en charger ? » Cette parole m'a nourri et, des années durant, j'ai eu plaisir à faire disparaître mon ego sous les pires caractères. J'adore aussi être ridicule : ça me rend léger, j'ai l'impression d'être au cœur de ma fonction. Je veux mourir léger.

Photo : Thierry Valletoux

Mais un acteur ne fait-il pas ce métier pour être aimé ? Comment l'être dans des rôles trop ingrats ?
C'est vrai qu'à force de jouer les monstres on vous prend pour un monstre. Je l'ai payé moi-même ! Mais il y avait un vrai plaisir à incarner les dingues, les caractériels, je les comprenais. Tellement de choses m'ont manqué à moi aussi. L'amour, surtout, l'insouciance de l'enfance. A moins que ce soit devenu ma force ? Je ne reproche rien à mon père, rien à ma mère : ils ont fait ce qu'ils ont pu avec ce qu'ils étaient. Pourtant, seul ce métier m'a tout donné. Ce n'était pas gagné, pendant des années je suis resté un tombereau de larmes condamné au silence...
Pourquoi ?
Mon père nous interdisait de pleurer, à mon frère aîné et à moi, et d'évoquer jusqu'au nom de notre mère, qui nous avait brutalement quittés pour un autre. C'était une grande amoureuse, elle était belle. J'avais 8 ans. Mon père, désespéré, dépressif, nous a alors mené la vie dure pour l'apitoyer et la faire revenir. Il avait un petit commerce de journaux ; pendant des années, il nous les a fait livrer avant l'école, sans petit déjeuner. J'en ai fait une allergie à l'encre d'imprimerie qui m'a longtemps empêché de lire. Je suis quasi inculte... Nous couchions aussi tous les trois ensemble, misérablement, dans l'arrière-boutique sans confort du magasin. Pourtant, mon père m'offrait simultanément des études dans des écoles privées plutôt chères et mythifiait sa vie, ses origines soi-disant aristocratiques. Ses bobards m'ont donné pour jamais la haine du mensonge. Je suis venu à ce métier pour pouvoir y être sincère.
Comment a eu lieu le déclic ?
Lors d'une représentation de L'Homme de la Manche, avec Jacques Brel. J'avais 11 ans. Quand je l'ai vu pleurer en scène, je me suis dit : « Le pauvre, qu'est-ce que ses parents vont lui passer ! » Puis, quand il a été applaudi par une salle debout, j'ai compris que certains avaient le droit de pleurer - ce qui me manquait tellement ! - et qu'on les ovationnait pour ça. Ma décision était prise : je serai vedette. Chanteur. Comédien, lorsque je me suis rendu compte que j'étais incapable d'écrire une chanson... Longtemps, mon jeu favori a été d'accorder des interviews imaginaires ; mais plutôt de champion de course : je n'avais pas les mots pour les autres métiers. Face aux journalistes, je gardais le triomphe modeste : « Oh ! n'exagérons pas ! » était ma réponse préférée. Je n'aime pas être singulier. Je préfère me vivre comme quelqu'un de banal, de moyen...
N'est-ce pas incompatible avec l'envie d'être célèbre ?
C'est plus valorisant d'être célèbre en se sachant petit - sur ma moto, je n'arrivais toujours pas, à 16 ans, à toucher le sol ! - et pas beau - aucune cliente du magasin ne me regardait. L'existence, pour moi, avait peu de valeur. Du coup je prenais tous les risques. A 200 km/h en moto ou sur des mauvais coups. Je pourrai être mort ou en taule pour vol. C'est le théâtre qui m'a sauvé. En me voyant faire le pitre et des fausses cascades, un copain du collège Stanislas m'a poussé à abandonner les études et à devenir comédien ; une vendeuse du magasin m'a indiqué le cours Simon. Quand j'ai posé la main sur la porte, j'ai eu une sorte de révélation mystique. J'étais embrasé.

Photo : Jean-François Robert

Le bonheur enfin à portée de main ?
Hélas, les élèves filles que je croisais me rendaient fou. Pas de mère, pas de sœur : les femmes devenaient une sorte d'inaccessible mais irrésistible Graal. Même si les très belles, comme ma mère, me paniquaient. Aujourd'hui encore, je ne peux vivre sans être amoureux... J'ai même tendance à fuir dès que j'aime moins... Ça pue trop la mort, sinon. Revenons au cours Simon. A cause des filles, je ne fichais plus rien. On me menaça de me virer. « Demain, à l'examen, je serai le meilleur ! » répliquai-je, au flan. Et j'ai été le meilleur ! Dans une comédie d'André Roussin ! Tout le monde riait. Ce succès m'a bouleversé. Je n'avais pas travaillé ; j'étais juste monté sur scène. Mais j'avais croisé tellement de mythomanes dans ma famille, rien ne me gênait. Ce n'était pas si dur, donc. Le succès était possible. Le bonheur, peut-être...
On se remet de son enfance ?
C'est compliqué... Cette enfance m'a blindé : souffrir ne me faisait plus peur, je ne l'ai évité dans aucun personnage. Mais la douleur m'a rattrapé. Parce que j'ai fait le choix, dévastateur, d'être un acteur hyper sensible, d'autant plus grand qu'il serait vulnérable. Sauf que, pour devenir hyper sensible, il fallait gratter les vieilles plaies. L'enfance m'est revenue en pleine gueule. Plus sauvagement que je ne l'avais vécue : les gamins ont des capacités de résistance insoupçonnées. Un écorché vif a ainsi fait surface, un misanthrope provocateur, autodestructeur. A 23 ans, dès mon premier film, Cocktail Molotov, de Diane Kurys, j'ai commencé à râler. L'enfer, c'était déjà moi. Je me suis mis à boire. Gérard Depardieu m'a dit un jour : « T'es comme moi, on s'aime pas. »
Comment vous en êtes-vous sorti ?
Il y a onze ans. Après huit ans d'analyse et le retour de mon rêve d'enfant : être célèbre... Vingt ans durant, je me suis enlisé dans l'alcool. Pour fuir les compétitions sordides qui régnaient dans ma génération entre les Christophe Lambert, Tchéky Karyo, Richard Anconina et d'autres... Je voulais aussi récupérer une jeunesse de fêtes que je n'avais pas eue, d'autant que je me croyais sûr de rattraper mes rivaux au finish : je suis un grimpeur, je gagnerai dans les Alpes... Je préférais de toute façon réussir tard plutôt que devenir un has-been... Mais j'ai commencé à me rendre compte que mes coups de gueule, ma conduite imprévisible me marginalisaient. Je végétais dans des téléfilms médiocres où régnait juste ce savoir-faire, si avare de soi, si scolaire que j'exècre.
Pourquoi ?
La seule chose qui vaille, c'est l'abandon : tout donner jusqu'à se sentir dévalisé. L'impudeur est chez nous une déformation professionnelle. On ne doit rien garder dans le coffre-fort, mais devenir un de ces personnages du peintre Bacon, dont on voit le visage et les tripes en même temps. Mieux vaut être mauvais que se préserver. Les gens viennent nous voir pour comprendre une intimité - la leur - qu'ils ne parviennent pas toujours à déchiffrer car ils ont peur de souffrir. Ils cherchent à travers nous leur propre potentiel. Nous sommes pour eux des catalogues.
Vous êtes-vous parfois surpris ?
Dans Un dernier pour la route, de Philippe Godeau, en 2009, j'incarnais un alcoolique, comme je l'avais été, et je devais jouer une scène où le type se lève la nuit pour boire. Pour moi, il devait être vraiment honteux à cet instant-là et malheureux. Sauf que, ce jour-là j'étais content, et pas ému du tout. Comme je n'aime pas truquer, j'ai dit à mon corps : « Allez, bon, on y va comme ça, Cluzet, pas d'émotion, tant pis ! » Et voilà qu'en ouvrant le Frigidaire, en entendant la bouteille cogner contre mes dents, je me suis mis à éclater en sanglots. Je tremblais. C'était trop pour le jeu, mais ce trop alimentait ma douleur et la redoublait. Elle revenait de loin : je me revoyais dévasté par l'alcool, démuni, du temps où je me disais : plus vite tu mourras, mieux ce sera...
Qui vous a le plus aidé dans ce métier ?
Sans doute Claude Chabrol, avec qui j'ai tourné cinq films, qui m'a vraiment aimé et que j'idolâtrais. J'ai même cessé de boire pour L'Enfer, avant de me remettre juste après... aux magnums. Claude était fâché de me voir boire ; il disait toujours : « Celui-là, avec les yeux qu'il a, il ne peut être que bon. » C'était un humaniste qui croyait que l'intelligence mène au bonheur, et vice versa. Sur les tournages, il tendait juste la main aux acteurs, assurait la coordination entre les personnages, nous rassurait en répétant : « Attention, le mieux est l'ennemi du bien » ou encore : « N'oublions pas que la vie tourne... » Un bon directeur d'acteurs encourage. En disant que c'est bien même si c'est faux. Sinon le comédien est foutu, n'y arrive plus. Un directeur d'acteurs doit se contenter de donner le rythme - plus vite, moins vite -, l'humeur - heureux, pas heureux - ou des petites phrases du genre : « Quand tu as fait telle chose, tu as touché le personnage », ou « Dans telle scène, tu m'as fait penser à... » : ça débloque l'imagination... Comme cette recommandation terrible, je me souviens, de Pialat à Depardieu : « On refait la prise sans jouer ! »
Les comédiens sont si fragiles ?
Le cœur de notre métier, c'est le cœur. C'est fragile.
Comment travaillez-vous ?
Je n'ai pas de méthode. C'est un piège dans notre métier. J'essaie simplement de penser dans le personnage, comme on s'efforce de penser en anglais pour apprendre l'anglais. Et, très vite, le personnage finit par parler... Je tiens de Jean-Laurent Cochet un exercice essentiel : « marcher » le texte, c'est-à-dire en prononcer toutes les syllabes en avançant, reculant et en changeant tout le temps de mouvement. Le texte que j'ai d'abord lu et relu, voire recopié, devient évidemment incompréhensible, mais chaque membre du corps s'en est emparé : il s'est fondu en vous. On ne doit pas apprendre avec une intention de jeu, sinon on n'est plus capable de rien modifier sur le plateau. On est coincé. A vrai dire, je n'ai jamais vraiment travaillé au sens douloureux du terme.
Vous voyez que vous n'êtes pas si tragique...
Graduer les émotions d'un personnage m'amuse ; veiller à ne pas faire avec lui de contresens. C'est ma petite intelligence à moi. La comédienne Christine Murillo, qui m'a vraiment donné envie d'être artiste, m'a raconté que Jean-Paul Roussillon, lorsqu'il la mettait en scène à la Comédie-Française, lui disait constamment : « C'est peut-être ça... ou son contraire ! » De toute façon, ce n'est jamais ce qu'on a à dire qui importe, mais ce qu'on vit sur le plateau, de cinéma ou de théâtre. Alors je me débrouille pour que tout le monde ait envie de jouer. Comme dans une cour de récré. Avant chaque tournage, je demande que les comédiens travaillent d'abord « à la table », comme au théâtre ; c'est-à-dire lisent ensemble le scénario, le commentent. Sur Les Petits Mouchoirs, de Guillaume Canet, certains se sont rebiffés ; ils avaient peur qu'on leur vole leurs secrets. Pourtant, ça nous a aidés. Le talent ne naît pas du malaise qu'on parvient ou non à créer chez l'autre, mais du bonheur. C'est le bonheur qui donne de l'énergie.
Guillaume Canet ?
Je lui dois beaucoup. Il m'a imposé dans Ne le dis à personne, ce premier rôle de héros positif qui m'a enfin valu un césar en 2007. Canal+, à l'époque, ne me voulait pas en tête d'affiche. Je ne valais pas un radis au box-office. Rappelons que j'ai eu le rôle d'Intouchables parce que Daniel Auteuil l'avait refusé...
Vous êtes toujours engagé à gauche ?
A 15 ans, j'étais d'extrême gauche ; à 22 ans, je déclarais à Libération : « Je suis une grosse dame noire lesbienne. » Mais je sais aujourd'hui qu'un acteur mange forcément à tous les râteliers : ai-je le droit de refuser que des spectateurs d'extrême droite viennent me voir ? Pas d'hypocrisie ! Evidemment, ma place est du côté des humiliés, des démunis, c'est ce que j'ai été, c'est ceux que je comprends le mieux. Mais pour continuer à les défendre, mieux vaut rester dans le contre-pouvoir. Pour garder sa liberté de parole, un artiste ne doit pas s'engager.
« La vie tourne », comme disait Chabrol.
Jusqu'à 45 ans, j'ai pensé que j'étais un dilettante. La boisson me rendait hyperactif, drôle, extravagant, je croyais pouvoir tout faire, je ne comprenais pas que je perdais l'acuité de perception, la netteté des sensations. Quand je me suis arrêté, je suis soudain devenu timide, quasi muet pendant plus d'un an. Je ne savais plus vivre. Il a fallu recommencer. Retrouver ce goût d'être vedette. Je le suis avec Intouchables. Mieux : je lis la gratitude dans le regard des gens. J'ai réalisé mon rêve : je suis aimé. Je découvre ce qu'être heureux veut dire. Mais j'ai peur de tomber du tapis volant.

Source Fabienne Pascaud (Télérama)